Le 30 janvier 1976, dans la ville de Troyes, le jeune Philippe Bertrand, un écolier âgé de sept ans, ne rentre pas chez lui après l’école. Très vite, ses parents donnent l’alerte. Ce qui semblait être une disparition inquiétante prend rapidement les contours d’un enlèvement, d’autant qu’un appel anonyme demandant une rançon de 1 million de francs parvient à la famille, confirmant les craintes les plus sombres. Le ravisseur exige que l’argent soit déposé sous un arbre sur une aire d’autoroute, mais il ne se présente jamais pour le récupérer.
L’enquête est confiée à la police judiciaire de Troyes, épaulée par la brigade criminelle de Paris. Les autorités procèdent à l’interrogatoire de dizaines de témoins, tout en lançant un appel à la population. Un jeune homme de 22 ans, Patrick Henry, attire rapidement l’attention des enquêteurs. Déjà connu pour des antécédents de petite délinquance, il rôde depuis plusieurs jours autour de l’école de la victime. Il est arrêté une première fois le 11 février, mais faute de preuves, les policiers sont contraints de le relâcher. Deux jours plus tard, il s’affiche devant les caméras, dénonçant le meurtrier de l’enfant et affirmant que « celui qui a fait ça mérite la peine de mort« .
Ce coup de communication cynique ne trompe pas les policiers, qui continuent de le surveiller discrètement. Le 17 février, une perquisition est menée dans un petit appartement que Patrick Henry louait sous un faux nom. Dans une chambre à l’odeur nauséabonde, les enquêteurs découvrent le corps sans vie du petit Philippe Bertrand, dissimulé sous un lit et enveloppé dans une couverture. L’autopsie révèlera que l’enfant a été étranglé le jour même de son enlèvement.
Acculé par les preuves, Patrick Henry est de nouveau arrêté et cette fois-ci, il passe aux aveux. Il explique avoir enlevé le garçon dans l’objectif d’obtenir une rançon, mais, pris de panique devant les informations diffusées dans les médias, il aurait décidé de le tuer. Cette révélation secoue la France entière, déjà traumatisée par la disparition du garçonnet. L’émotion atteint son paroxysme le 18 février 1976 lorsque Roger Gicquel, présentateur du journal télévisé de TF1, ouvre son édition par cette phrase restée célèbre : « La France a peur ».
Le procès s’ouvre en janvier 1977 devant la cour d’assises de l’Aube, dans un climat électrique. La question de la peine de mort plane sur toute la procédure. L’avocat troyen Robert Bocquillon, chargé de la défense, fait appel à un jeune avocat parisien peu connu du grand public : Robert Badinter. Fervent abolitionniste, celui-ci saisit cette affaire pour mener un combat symbolique contre la peine capitale. Durant plusieurs jours, il s’efforce de convaincre les jurés que, malgré l’horreur du crime, la justice ne peut répondre à la barbarie par la barbarie.
Sa plaidoirie, aussi brillante que poignante, bouleverse la cour. Robert Badinter insiste sur l’humanité du droit, la nécessité de préserver la vie même de ceux qui ont commis l’irréparable, et l’importance pour la société de ne pas céder à la vengeance. Le verdict tombe : Patrick Henry échappe à la guillotine et est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Ce verdict, largement relayé et commenté dans la presse, provoque des réactions passionnées. Certains y voient un acte de courage judiciaire, d’autres une insulte à la mémoire de la victime. Mais l’affaire Patrick Henry devient un jalon fondamental dans le débat sur la peine de mort. Elle renforcera le combat de Robert Badinter, qui deviendra quelques années plus tard ministre de la Justice sous François Mitterrand et portera la loi abolissant la peine de mort, adoptée en 1981.
Patrick Henry restera en prison durant près de vingt-cinq ans. Il obtient une libération conditionnelle en 2001, mais retourne en détention après une arrestation en flagrant délit de transport de drogue en Espagne en 2002. Atteint d’un cancer du poumon en phase terminale, il est libéré une dernière fois pour raisons médicales en 2017. Il meurt le 3 décembre de la même année, à l’âge de 64 ans, emportant avec lui l’ombre d’un crime qui aura marqué durablement la conscience collective française.


