Entre 1980 et 1987, la région de Mourmelon, dans la Marne, est le théâtre de mystérieuses disparitions de jeunes hommes, principalement des appelés du contingent. Le premier à s’évanouir sans laisser de traces est Patrick Dubois, 19 ans, le 4 janvier 1980. Suivent Serge Havet le 20 février 1981, Manuel Carvalho le 7 août 1981, et Pascal Sergent le 20 août 1981. Le 30 septembre 1982, Olivier Donner disparaît à son tour; son corps sera retrouvé un mois plus tard près de Mailly-le-Camp. En 1985, Patrice Denis, un civil, se volatilise alors qu’il se rend au camp de Mourmelon. Patrick Gache, appelé du 4ᵉ régiment de dragons, disparaît le 30 avril 1987. Enfin, en août 1987, le corps de Trevor O’Keefe, un touriste irlandais, est découvert près d’Alaincourt dans l’Aisne.
Ces disparitions, souvent classées hâtivement comme des désertions par l’armée, suscitent l’inquiétude des familles et l’intérêt des médias. L’absence de corps et de preuves concrètes entrave l’avancée des enquêtes. Le 9 août 1988, un tournant majeur survient: des gendarmes de Saône-et-Loire contrôlent un camping-car stationné dans un chemin isolé. À l’intérieur, ils découvrent Pierre Chanal, adjudant-chef et ancien instructeur au camp de Mourmelon, en compagnie d’un jeune auto-stoppeur hongrois de 20 ans, Balázs Falvay, ligoté et visiblement traumatisé. Falvay accuse Chanal de l’avoir enlevé, séquestré et violé.
L’enquête révèle que Chanal, militaire exemplaire en apparence, mène une double vie troublante. Des objets compromettants sont découverts dans son véhicule et sa chambre, notamment des films pornographiques et des enregistrements vidéo de ses propres actes. En 1990, il est condamné à dix ans de réclusion criminelle pour le viol et la séquestration de Falvay. Cependant, les preuves directes le reliant aux disparus de Mourmelon font défaut, malgré les soupçons pesant sur lui.
Libéré en 1995, Chanal reste sous surveillance. Les avancées en matière d’analyses ADN permettent de relancer l’enquête. En 2001, des expertises génétiques établissent des correspondances entre des échantillons prélevés dans son camping-car et les profils de certaines victimes, notamment Patrice Denis, Patrick Gache et Trevor O’Keefe. Ces découvertes conduisent à son renvoi devant la cour d’assises de la Marne pour ces trois affaires.
Le procès s’ouvre en octobre 2003, mais Chanal, qui a entamé une grève de la faim, est hospitalisé. Le 15 octobre 2003, il se suicide en se tranchant l’artère fémorale avec une lame de rasoir, mettant fin à l’action judiciaire et laissant les familles des victimes sans réponses définitives. En 2005, le tribunal de grande instance de Paris reconnaît la responsabilité de l’État pour faute lourde dans la gestion de cette affaire, pointant du doigt les défaillances des enquêteurs et des magistrats qui ont conduit à l’impasse judiciaire.








