Tout commence dans le silence feutré d’une nuit californienne, au cœur de Garden Grove, le 19 mars 1985. Dans une maison louée en apparence banale, un drame insondable s’apprête à bouleverser à jamais la vie d’une famille — et, bien au-delà, à fasciner l’Amérique entière. Dans son lit, Linda Brown, jeune épouse de 23 ans, dort sans se douter qu’elle ne se réveillera jamais. Deux coups de feu, tirés à bout portant, mettent brutalement fin à son existence. Le meurtre semble d’une violence soudaine, inexplicable.
Le choc est immédiat lorsque la police découvre, non loin du corps, Cinnamon Brown, la fille de 14 ans du mari de la victime. Gisant dans le chenil, inconsciente, souillée de vomissures et tenant un mot confus — prétendument une lettre d’adieu — l’adolescente semble avoir tenté de se donner la mort. Elle avoue rapidement avoir appuyé sur la gâchette. À ses quatorze ans, elle endosse seule la responsabilité du meurtre. L’affaire paraît close. Mais sous cette apparente simplicité se cache une ténébreuse machination.
L’enquête révèle que le veuf éploré, David Brown, est loin d’être un homme brisé par la perte. Informaticien prospère, il ne tarde pas à encaisser plus de 800 000 dollars issus de plusieurs polices d’assurance contractées peu avant la mort de Linda. Une coïncidence ? Les enquêteurs commencent à douter.
Très vite, la façade de l’homme affligé s’effrite. David Brown mène grand train, achetant une maison en liquide cinq mois à peine après le drame. Surtout, il épouse dans le secret la sœur cadette de la défunte, Patti Bailey, une adolescente qu’il fréquente depuis longtemps dans l’ombre, et avec qui il conçoit un enfant dès l’année suivante. Les pièces du puzzle s’assemblent lentement, mais l’image qu’elles révèlent glace le sang : celle d’un manipulateur hors pair, prêt à tout pour éliminer une épouse devenue gênante.
Pendant ce temps, la jeune Cinnamon croupit dans un établissement pour mineurs, enfermée dans le silence et le mensonge imposés par son père. Mais en 1988, après trois années passées loin du monde, la jeune fille, écœurée de voir son géniteur vivre dans l’opulence, décide de briser l’omerta. Elle accepte de collaborer avec les enquêteurs, revêt un micro dissimulé et affronte son père lors de visites sous surveillance.
Les révélations qu’elle permet d’obtenir sont accablantes. David, piégé par sa propre voix, avoue l’impensable : il a manipulé sa fille et sa belle-sœur, les convainquant que Linda voulait le tuer, qu’il fallait l’éliminer par amour pour lui. Pire encore, il avait administré à Cinnamon un mélange de somnifères pour simuler une tentative de suicide, et l’avait préparée à endosser le crime sans faillir.
En 1990, le procès s’ouvre dans une atmosphère lourde. Les enregistrements obtenus par Cinnamon constituent la pièce maîtresse de l’accusation. David Brown est reconnu coupable du meurtre avec préméditation de son épouse et condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Il tentera même, dans un ultime acte de duplicité, de faire assassiner Patti Bailey afin de l’empêcher de témoigner. Celle-ci sera également condamnée pour sa participation au complot.
Cinnamon, quant à elle, sera libérée sur parole en 1992, après sept années d’une détention qui n’effacera jamais vraiment son passé. Pour le procureur Jeoffrey L. S. Robinson, elle demeure une figure tragique, « une enfant abandonnée, complètement façonnée par la perversité d’un père qu’elle aimait aveuglément ».
L’affaire, aux ramifications aussi troubles qu’un thriller psychologique, fera l’objet de plusieurs ouvrages, dont le célèbre If You Really Loved Me de Ann Rule, ainsi que d’une mini-série télévisée intitulée Love, Lies and Murder, diffusée en 1991. Un récit qui continue, quatre décennies plus tard, à hanter les mémoires.
En 2014, David Brown s’éteint de causes naturelles dans un hôpital pénitentiaire de Californie, à l’âge de 61 ans. Il meurt seul, incarcéré dans une unité de protection, miné non par la maladie, mais par le poids de ses propres crimes.


