Dans les plaines silencieuses du Wisconsin, à la lisière du village de Plainfield, une ferme solitaire abritait un homme dont le nom allait hanter l’imaginaire collectif : Ed Gein. Fils d’une mère fanatiquement pieuse, Augusta, il grandit dans une atmosphère de défiance et de peur, où le monde extérieur n’était qu’une source intarissable de péché et de dépravation.
À la mort de son père en 1940, Ed, aux côtés de son frère Henry, demeura sous l’emprise implacable d’Augusta. Mais en 1944, un incendie ravagea leur propriété ; Henry périt dans des circonstances troubles, laissant Ed seul avec sa mère, son unique phare, jusqu’à son décès l’année suivante. Cette perte sonna le glas de la raison chez cet homme taciturne. Isolé, dérivant entre solitude et délire, Ed transforma peu à peu la ferme familiale en sanctuaire funèbre. Les chambres jadis occupées par Augusta furent soigneusement conservées, figées dans une immobilité morbide, tandis que le reste de la maison sombrait dans un chaos indescriptible. Dans cet antre, il donna libre cours à une fascination macabre : celle du corps humain et de sa préservation grotesque.
Entre 1947 et 1952, dans la plus grande discrétion, il écuma les cimetières locaux, exhumant des cadavres féminins qu’il jugeait ressemblants à sa défunte mère. De leurs restes, il façonna des masques de peau humaine, des sièges garnis d’épiderme, des ustensiles façonnés à partir d’ossements, transformant sa demeure en musée d’horreurs à nul autre pareil.
Le 8 décembre 1954, la communauté de Plainfield fut frappée d’effroi : Mary Hogan, tenancière d’une auberge locale, disparut sans laisser de traces. L’affaire, faute de preuves, resta un mystère pesant. Mais le silence lugubre de la campagne n’était qu’une façade fragile.
Le 16 novembre 1957, la disparition brutale de Bernice Worden, respectée propriétaire d’une quincaillerie, réveilla les soupçons. À l’intérieur de son magasin, son fils, adjoint du shérif, trouva une traînée de sang et un reçu d’antigel établi au nom d’Ed Gein. Les forces de l’ordre n’hésitèrent pas : il fallait fouiller la ferme. Ce qu’ils y découvrirent glaça le sang des enquêteurs les plus aguerris. Dans une remise obscure, Bernice Worden, décapitée, était suspendue par les pieds, vidée de ses entrailles comme une bête abattue. À l’intérieur de la maison, la stupeur redoubla : têtes réduites, masques façonnés dans des visages humains, cœurs enfermés dans des sacs en plastique, ceinturons ornés de mamelons – une collection sinistre érigée dans la folie la plus noire.
Rapidement arrêté, Gein avoua sans grande résistance les meurtres de Mary Hogan et de Bernice Worden, confessant également avoir déterré de nombreux cadavres pour satisfaire ses sinistres projets. Il expliqua avec un calme glaçant son désir de « ressusciter » sa mère à travers la confection d’un costume de peau humaine.
Déclaré mentalement inapte à subir son procès, il fut interné dans un hôpital psychiatrique de haute sécurité. Ce n’est qu’en 1968, après avoir été jugé apte, qu’il fut reconnu coupable mais légalement irresponsable, condamné à l’internement à vie.
Le 26 juillet 1984, Ed Gein s’éteignit d’un cancer, enfermé à l’hôpital psychiatrique de Mendota. Il fut inhumé dans une tombe anonyme, non loin de la terre qu’il avait souillée de ses fantasmes macabres. Pourtant, son spectre ne disparut pas : il continua d’inspirer quelques-unes des figures les plus terrifiantes de la culture populaire, de Norman Bates dans Psychose à Leatherface dans Massacre à la tronçonneuse, en passant par Buffalo Bill dans Le Silence des agneaux. Comme si, en fin de compte, la fiction n’avait fait qu’effleurer la monstruosité de la réalité.


