Dans l’air tiède du 8 novembre 1961, le Bluebelle, un modeste ketch de 18 mètres, quitte le port de Fort Lauderdale en Floride pour une croisière en mer des Caraïbes. À son bord, le capitaine Julian Harvey, sa femme Mary Dene Harvey, ainsi que la famille Duperrault, composée d’Arthur, son épouse Jean et leurs trois jeunes enfants, rêvent d’aventure et de liberté. La traversée débute sous d’heureux auspices, bercée par le clapotis régulier des vagues. Pourtant, derrière ce calme apparent, Julian Harvey, surnommé « le capitaine solitaire » par certains marins du port, nourrit des desseins plus sombres. Criblé de dettes et au passé trouble, il aurait souscrit à une assurance vie substantielle sur sa propre épouse peu avant le départ.
Dans la nuit du 12 novembre, au large des Bahamas, l’horreur éclate. Selon les premières reconstitutions, Julian Harvey assassine sa femme Mary à coups de matraque, puis s’acharne sur les membres de la famille Duperrault. Seule la petite Terry Jo, onze ans, parvient miraculeusement à lui échapper, en se réfugiant sur un petit radeau de fortune, dérivant seule au cœur de l’océan Atlantique. Pendant ce temps, Julian Harvey est secouru par un cargo, affirmant que le Bluebelle aurait sombré à la suite d’un incendie brutal. Ses vêtements, pourtant secs et propres, éveillent rapidement les soupçons de la Garde côtière, qui entame une enquête discrète mais déterminée.
Quatre jours plus tard, une silhouette blême est repérée flottant au large par un navire de la Coast Guard : c’est Terry Jo, affaiblie, déshydratée, mais vivante. Son témoignage, arraché avec précaution par les enquêteurs fédéraux, révèle l’effroyable vérité derrière le naufrage présumé.
Confronté à l’imminence d’une arrestation, Julian Harvey, désormais principal suspect, se donne la mort dans une chambre d’hôtel de Miami en avalant une dose massive de somnifères, laissant derrière lui une note confuse où il évoque sa « peur » et son « honte ». L’analyse de la scène de crime maritime confirme que le Bluebelle a été volontairement sabordé : des valves d’évacuation ont été ouvertes pour accélérer le naufrage, un acte calculé destiné à masquer les meurtres. La justice ne pourra jamais juger Julian, mais l’opinion publique, bouleversée, suit chaque rebondissement avec une fascination mêlée d’effroi.
Les funérailles des Duperrault sont célébrées dans une atmosphère lourde à Green Bay, Wisconsin, tandis que Terry Jo, désormais pupille de l’État, tente de reconstruire son existence sous un nouveau nom. Le récit glaçant de sa survie devient un symbole poignant de résilience, inspirant livres, reportages et études de criminologie.


